Lune Bleue - 2 -
La suite donc du message précédent, toujours concernant mon roman en cours d'écriture.
Bonne lecture ^^ (attention, c'est un morceau un peu plus long. Je cherche de bons endroits pour couper le récit, mais c'est parfois plusieurs pages après...donc prenez votre temps)
"Nous avons repris nos manteaux
pour sortir sous les températures hivernales persistantes bien après Noël et
nous avons roulé jusqu’à la morgue. Flack n’aimait pas se rendre dans l’antre
d’Alain mais c’était un passage obligé si nous voulions nous immerger dans la
tête du tueur…
_Ah
vous voilà !
Ce dernier a retiré ses gants de
latex et a baissé son masque en nous voyant arriver, quittant alors le corps
qu’il était en train d’inspecter pour une autre affaire.
_Vous
avez l’identité de notre jeune amie à ce qui paraît ?
_Anna
Malova.
_Oui,
22 ans, une jeune fille en pleine santé si on retire toutes ces…tortures
infligées par diverses armes blanches.
Il a retiré le drap qui couvrait
le visage d’Anna et nous nous sommes arrêtés de l’autre côté pour l’observer
sans rien dire. Elle semblait bien jeune avec ce teint blanc à faire peur.
_Elle
a souffert de déshydratation de longues heures avant que son cœur ne lâche.
_Son
cœur ? à son âge ?
Alain a doucement repoussé le
draps pour lui saisir délicatement le poignet sans dénuder sa poitrine et nous
montrer ses doigts bleuis à leur extrémité.
_Elle
a subi d’importantes décharges électriques. Ça après l’étirement de ses bras,
brûlures diverses et variées à des endroits que je ne citerais pas,
scarifications, plaies ouvertes…
_C’est
bon, c’est bon, on a compris !
Flack a préféré faire quelque pas
pour se dégourdir les jambes, écœuré. Alain m’a intensément fixé et j’ai
compris qu’il voulait me montrer quelque chose. Il écarta alors sa main du
poignet d’Anna et j’ai vu apparaître un tatouage. Quelque chose que peu de gens
pouvaient réellement voir.
« Un
F inversé…alors j’avais raison… »
Il a reposé son bras et l’a
doucement recouverte avant de me tendre le rapport préliminaire d’un geste
franc.
_Autant
vous éviter la lecture. Cette jeune femme a souffert pendant au moins trois
jours puis a été attaché à ce plafond de chantier alors que son corps était
encore chaud. Les marques de corde sur sa peau sont assez explicites.
_Il
va falloir prévenir les parents…soupira mon collègue en se pinçant la lèvre
inférieure, c’est vraiment une partie de ce boulot que je déteste.
_Tu
veux que je le fasse ?
_Non
non, tu m’as couvert les deux dernières fois, c’est bon. Laisse-moi
juste…quelques minutes.
Il a quitté la morgue d’un pas
rapide, son téléphone en main. Alain a levé le nez vers moi et j’ai soupiré en
repoussant mes cheveux d’une main lasse.
_Une
cousine…
_Tu
t’en doutais n’est-ce pas ?
Je me suis saisi du sac de
plastique qui contenait la croix de bois retrouvée autour de son cou.
_Cela
ne peut être qu’un Inquisiteur…c’est ce que j’ai pensé en arrivant sur le
chantier…bien sûr, je dois garder l’esprit assez ouvert pour d’autres
possibilités mais…
_….mais
tu penses qu’une chasse est ouverte ?
_Une
chasse peut-être pas…pas si je l’arrête avant.
J’ai fait volte-face, prête à
sortir.
_Diane.
Alain m’a regardé avec gravité en
enfilant de nouveaux gants de latex.
_Fais
attention à toi. Tu n’es pas en sécurité avec ce genre de malade dehors.
_Je
sais. C’est bien pour ça que je compte le stopper rapidement. Ne t’inquiète
pas. Je sais me défendre.
Il a eu un sourire nerveux
lorsque j’ai poussé les doubles portes après lui avoir lancé un clin d’œil pour
le rassurer. Flack était dans le couloir, assis dans l’un des sièges
normalement installés pour la famille des défunts. Il secouait son portable en
rythme avec ses genoux, le regard vide.
_J’ai
eu la mère, me dit-il sans me regarder, elle a refusé de me croire et m’a
raccroché an nez en me traitant de suppôt de satan. Tu le crois ça ?
_…elle
a refusé de te croire…c’est normal. Tu as son adresse ?
Il m’a tendu une page arrachée de
son calepin, encore sous le choc. Je l’ai déplié pour découvrir que Marie
Malova habitait bien loin de sa fille, dans la campagne oubliée à l’autre bout
du pays.
_Allons
voir la colocataire d’Anna. Elle pourra peut-être nous renseigner sur son
emploi du temps des derniers jours.
_Ouais…on
n’a plus que ça à faire.
J’ai patiemment attendu qu’il
reprenne ses esprits et nous avons quitté le bâtiment, l’esprit encore plus
morne qu’au réveil. Parfois, le genre humain me faisait vomir…
_35.
C’est là.
J’ai frappé deux coups quand du
bruit s’est fait entendre de l’autre côté. Une jeune femme est venue nous
ouvrir en tenue plutôt légère étant donné le temps extérieur.
_Oui ?
_Mademoiselle
Benoît ? Police. Lieutenant Montel et sergent Flack. Vous êtes bien la
colocataire d’Anna Mavola ?
_…oui…
Nous n’avons pas eu besoin de lui
donner la raison de notre venue pour qu’elle s’effondre en larme. Nous sommes
entrés pour éviter d’ameuter tout le couloir et l’avons accompagné dans ce qui
devait être le salon de ce studio à peine assez grand pour deux personnes. Elle
s’est assise dans le canapé et a pleuré encore de longues minutes en sacrifiant
quelques mouchoirs. Nous avons attendu, compréhensifs. Flack s’est assis en face
d’elle sur un coin de la table basse sur laquelle gisait encore deux verres et
j’ai commencé à faire le tour discret du propriétaire. Deux filles vivant
ensembles étaient rarement plus rangées que deux hommes. J’ai évité de marcher
sur des vêtements éparpillés et j’ai été jeter un œil sur la bibliothèque qui
était remplie à ras bord d’ouvrage en tout genre.
« Qu’est-ce
que … ? »
Je me suis arrêtée, intriguée.
« Les
sorcières de Salem, mensonges et trahisons…l’image de Dieu à travers les
âges…légende et folklore, quelle réalité ?… »
_C’est
à vous tous ces livres ?
Annabelle Benoît a reniflé
bruyamment avant de secouer la tête en voyant quels ouvrages je pouvais bien
désigner.
_Non
ils sont tous à…ils étaient tous à Anna… à cause de ses études…
_Ses
études ?
_Oui,
acquiesça-t-elle en reniflant de nouveau, elle était théologienne. Enfin, elle
voulait le devenir…
J’ai du faire une tête explicite
car Flack m’a interrogé d’un regard surpris. J’ai repris mes esprits en me
raclant la gorge et j’ai continué de regarder ici ou là, l’esprit perturbé.
« Théologienne…c’est
bien la première fois que j’entends une chose pareille…hum ? »
J’ai poussé une porte de la
manche et j’ai deviné une chambre minuscule de l’autre côté.
_C’est
la vôtre ou… ?
_Non…Anna…
_Vous
permettez ?
Elle a acquiescé sans rien dire
et je suis entrée en faisant attention où je mettais les pieds. J’ai ouvert le
volet pour faire un peu de lumière et j’ai découvert une pièce parfaitement
rangée. Un lit au carré, des vêtements bien pliés sur la chaise voisine, très
peu de décoration…j’aurai pu entrer dans une chambre de nonne sans savoir faire
la différence. C’était presque effrayant.
Une seule photo était posée sur
la table de chevet. Elle a aussitôt attiré mon attention. Je m’en suis saisie
et j’ai découvert la victime à côté d’une femme plus âgée avec qui elle
partageait une certaine ressemblance. Sa mère sans doute.
« Je
commence à comprendre »
Cette dernière était habillée en collet monté, l’air aussi
sévère qu’une mère supérieure, une croix en or autour du cou assez visible pour
éblouir n’importe qui.
_Vous
avez déjà rencontré sa mère ?
Je suis revenue dans le salon
avec la photo, coupant alors la conversation que la colocataire partageait avec
Flack.
_Une
fois, en début d’année…ça n’a pas du tout collé. Elle m’a traité comme si
j’étais…
_Une
mauvaise fille ?
_Pire
que ça ! Son regard était super explicite ! J’étais pourtant bien
habillée mais elle n’a pas arrêté de parler à Anna comme si je n’étais
qu’une moins que rien, et qu’elle ne devrait pas traîner avec moi !
_Et
Anna, comment a-t-elle réagi ?
Elle a reniflé en regardant son
mouchoir.
_Elle
a fait semblant de lui obéir puis est redevenue comme avant dès son départ.
Elle m’a expliqué qu’elle avait reçu une éducation très stricte et que sa mère
vivait quasiment dans un monde renfermé sur lui-même. Genre la vieille femme à
chat ou un truc comme ça.
_Et
avec sa fille, comment était-elle ?
Flack s’est légèrement redressé
sur la table basse, consciencieux. Il se demandait sans doute où je voulais en
venir mais il écoutait sans rien dire en bon professionnel.
_Sèche,
dure…j’arrivais pas à y croire en fait. Mais Anna ne disait rien, totalement
blasée. Elle m’a assuré que dans le fond, sa mère était gentille et
attentionnée mais…à la voir, on aurait plutôt dit une marâtre prête à tout pour
lui faire porter le chapeau de sa petite vie ratée.
_D’accord,
je vois…merci.
J’ai été remettre la photo à sa
place, plutôt peinée pour la victime. Elle n’avait pas du grandir dans un
univers très confortable avec une mère bigote qui se reniait jusqu’au plus
profond d’elle même. Une fois étudiante, elle avait cherché à obtenir des
réponses…
_Un
petit ami ? Anna ? vous rigolez !
J’ai levé le nez du bureau qui
devait contenir les affaires de deux filles pendant que Flack continuait
l’interrogatoire gentillet de la colocataire.
_Avec
sa mère d’un côté et ses études de l’autre…elle n’avait pas la tête à ça. J’ai
bien essayé de la faire sortir, rencontrer des gars mais…à croire qu’ils ne
l’intéressaient vraiment pas.
_Vous
voulez dire qu’elle…avait d’autres préférences ?
_J’ai
jamais osé lui demander…vous savez…ça veut plus rien dire maintenant.
Flack m’a regardé quand Annabelle
est repartie en pleurs.
_Et
sinon le jour de sa disparition ? vous est-elle apparue anxieuse ?
inquiète ?
_Non…pas
plus que d’habitude…elle voulait étudier à la bibliothèque après les cours…je
devais aller voir des amis en dehors du campus alors je suis rentrée assez
tard. Elle n’était pas là. J’ai cru qu’elle avait enfin décidé de se décoincer
un peu…quand elle n’est pas réapparue le lendemain, j’ai vraiment commencé à
m’inquiéter. J’ai pas besoin de vous dire…que ce n’était pas son genre.
Nous sommes restés sans rien dire
à cette dernière remarque qui était lourde de sens et nous avons ensuite pris
congé pour lui laisser le temps d’annoncer la nouvelle à leur entourage.
_Alors
si je comprends bien, nous avons une jeune fille sans problème particulier, qui
vit une scolarité tranquille, totalement concentrée sur ses études, mais qui
finit pendue à un plafond de chantier et atrocement torturée. C’est moi ou il y
a quelque chose qui ne colle pas dans cette histoire ?
Je n’ai eu qu’un soupir en me
dirigeant vers la voiture qui nous attendait dans un coin du parking de l’université.
Je ne pouvais décemment pas lui dire la vérité. Anna n’avait pas été attrapé
par un tueur ordinaire. Cet homme ne vivait pas dans le même univers. Il ne
voyait pas les mêmes choses, ne considérait pas les hommes et les femmes de la
même manière. Pour lui Anna n’était pas une jeune fille ordinaire…mais un
monstre à éliminer de la surface de la terre. Et je n’étais pas différente.
_On
a donc aucune piste, déclara Flack pour me faire sortir de mes pensées, aucun
petit ami, aucun professeur mécontent…à espérer que les scientifiques ont
trouvé quelque chose à se mettre sous la dent, sinon je ne vois pas comment on
va réussir à attraper ce malade. Diane ? à quoi penses-tu ?
_Hum ?
oh à la mère de la victime. Je me demandais si je n’allais pas faire un saut
jusqu’à chez elle. Ou attendre qu’elle vienne récupérer le corps.
_Je
pencherai pour la deuxième solution si j’étais toi. Pas certain que le
capitaine te laisse partir à l’autre bout du pays avec notre budget
« déplacement » qui a encore diminué de moitié cette année.
Je n’ai eu qu’un soupir explicite
en regardant d’un air blasé mon reflet dans le rétroviseur. Le sac d’Anna était
toujours porté disparu. Si elle a effectivement été enlevé à la sortie de la
bibliothèque, elle devait avoir ses cours sur elle.
« Ses
recherches…il a du la repérer avec ses recherches… »
A voir les sujets abordés par les livres de sa
bibliothèque, Anna voulait comprendre. Protégée par une mère abusive, lâchée
dans un monde étroit d’esprit, elle avait essayé de se retrouver dans toutes
ces légendes, ces dires, et ces vérités qui lui manquaient atrocement.
_Je vais
vérifier quelque chose à la bibliothèque. Rentre sans moi et préviens-moi dès
qu’Alain a fini son autopsie !
_Tu…eh,
je fais quoi en attendant ?!
_Continue
de vérifier les affaires remontant à 5 ans ! lui ais-je déclaré en
revenant sur mes pas, peut-être qu’un autre cas va sortir des fichiers !
_Et si
c’était son premier meurtre ?!
_Impossible !
Je l’ai salué d’une main en traversant un petit chemin de pierre rouge qui m’a conduit jusqu’au grand bâtiment qui contenait tous les livres de l’université, ou presque. J’ai entendu le moteur de notre voiture de service et Flack m’a klaxonné avant de virer sur la droite et se diriger vers la sortie du campus. Je savais qu’il se posait des questions…et c’était normal. Mais sur cette affaire, j’allais devoir travailler seule si je ne voulais pas me brûler les ailes"
Dessin de Goldenwolf : http://goldenwolf.deviantart.com